Quels que soient les sujets, l’Union européenne fait toujours « trop peu et trop tard », pour employer une expression de François Hollande. C’était vrai hier quand la Grèce traversait une crise financière sans précédent, c’est vrai aujourd’hui s’agissant du soutien militaire à l’Ukraine. Le compte n’y est pas. « La sécurité à long terme de l’Europe commence par des décisions audacieuses à court terme pour l’Ukraine », implorait, jeudi, l’Ukrainien Dmytro Kuleba, à Bruxelles, où se tient un conseil informel qui se poursuit aujourd’hui par la réunion des ministres européens de la Défense. « Nous apprécions tout ce que l’UE a fait jusqu’à présent, mais la réalité sur le terrain exige davantage. Chaque jour de retard se paie en vies ukrainiennes », rappelle, une fois de plus, le ministre ukrainien des Affaires étrangères.
Le moment est critique : Kiev opère un mouvement tactique en lançant une offensive en direction de Koursk sur le territoire russe, de manière à contraindre les troupes de Poutine à alléger le front dans le Donbass, lequel cède peu à peu. La Russie redouble ses frappes pour annihiler les ressources énergétiques ukrainiennes.
« Il est clair que la Russie veut détruire complètement le système électrique et d’approvisionnement en eau de l’Ukraine afin de plonger le pays dans le noir et le froid pour le prochain hiver », conclut Josep Borrell, le haut représentant pour les relations extérieures de l’UE.
Lier les poings de l’Ukraine ?
L’offensive sur Koursk sème chez les dirigeants européens des sentiments partagés. Comme toujours, ce sont les pays les plus à l’est, ceux qui ont le plus à craindre de l’impérialisme russe, qui sont les plus nets soutiens du régime ukrainien. La question de l’utilisation des armes fournies par l’UE sur le territoire russe reste un sujet de désaccord.
Hanno Pevkur, ministre estonien de la Défense, plaide pour donner à l’Ukraine « toutes les possibilités », comparant la situation actuelle à un « combat de boxe où l’Ukraine ne pourrait utiliser qu’une seule main ». Cependant, tous les pays membres ne partagent pas cette vision. Et la Hongrie maintient que l’escalade du conflit militaire est une erreur majeure de l’UE.
Sur ce point, Dmytro Kuleba a été catégorique : « Limiter l’utilisation des armes fournies revient à lier une main dans le dos de l’Ukraine. Nous défendons non seulement notre territoire, mais aussi les valeurs européennes. L’Europe ne peut pas se permettre de dicter les termes de notre autodéfense. »
Concernant la possibilité pour l’Ukraine d’utiliser des armes contre des cibles militaires en Russie, Josep Borrell estime que c’est une décision qui appartient à chaque pays fournisseur d’armes, mais il considère qu’il n’est pas « ridicule » de permettre cela, en vertu du droit international.
La Lituanie met les pieds dans le plat
Gabrielius Landsbergis, le ministre lituanien des Affaires étrangères, a mis les pieds dans le plat. « Une fois de plus, nous devons nous poser une question : ne sommes-nous pas nous-mêmes une partie du problème ? interroge-t-il sur le ton du reproche. Jusqu’à présent, aucune des batteries Patriot promises à l’Ukraine par Washington n’a été livrée. Aucun nouveau lot de munitions n’a été livré depuis juin. Les F-16 qui ont été livrés – juste deux d’entre eux – commencent à peine à être utilisés. Prenons-nous cela vraiment au sérieux ? »
Dans le même esprit, Andris Spruds, ministre letton de la Défense, a souligné l’engagement de la Lettonie à consacrer 0,25 % de son PIB au soutien militaire à l’Ukraine, appelant implicitement les autres pays à faire de même. Pour la Lettonie, la somme est assez ridicule : 100 millions d’euros. Pour l’Allemagne (dont le PIB est de 4 121 milliards d’euros), cela représenterait 10 milliards d’euros. Or, Berlin est déjà le plus gros contributeur européen avec 8 milliards d’euros et envisage, pour 2025, de réduire son aide de moitié.
Questions sur le soutien allemand
C’est en tout cas ce qui a fuité du projet de budget pour 2025, soulevant l’inquiétude à Kiev. Les tensions entre le ministre des Finances allemand, le libéral Christian Lindner, et ses partenaires de la coalition sont de notoriété publique. Lindner estime que les avoirs russes gelés devraient être davantage sollicités plutôt que l’argent des contribuables allemands. Le chancelier Olaf Scholz a tenu, cependant, à rassurer Volodymyr Zelensky par un appel personnel le 24 août et a confirmé le soutien indéfectible de l’Allemagne à l’Ukraine.
De son côté, Annalena Baerbock, la cheffe de la diplomatie allemande, ne s’est pas étendue sur le sujet, préférant annoncer de bonnes nouvelles. « ll y aura quatre nouveaux systèmes de défense aérienne d’ici la fin de l’année, ainsi que de nouvelles livraisons de Gepard, car la défense aérienne reste la priorité absolue pour protéger les vies humaines en Ukraine », énumérait-elle, jeudi, avant le conseil informel.
Retards dans la fourniture des munitions
Les retards dans la livraison de munitions sont patents et traduisent les atermoiements des Européens dont les gouvernements ont, il est vrai, d’autres préoccupations. Josep Borrell essaie de positiver en soulignant les efforts de l’industrie européenne pour augmenter sa capacité de production, mentionnant que près de 700 000 munitions de calibre 155 mm ont déjà été produites. Sauf que l’UE avait promis la livraison d’un million de munitions… en mars dernier.
« Chaque promesse non tenue, chaque retard dans les livraisons, affaiblit notre position sur le champ de bataille, insiste Dmytro Kuleba. Nous ne demandons pas l’impossible, nous exigeons simplement que les engagements pris soient honorés. »
La formation des soldats ukrainiens dans leur pays ne fait pas non plus consensus. Jusqu’à maintenant, les soldats ukrainiens sont formés en Europe. On devrait atteindre 60 000 formations d’ici la fin de l’année. Mais pour aller plus vite, ne vaudrait-il pas mieux envoyer des instructeurs européens en Ukraine ?
Pas de consensus sur l’envoi des instructeurs militaires
Les Pays-Bas temporisent. « Si vous allez sur le territoire ukrainien, vous devez faire un arbitrage entre les avantages et les risques encourus, estime Ruben Brekelmans, le ministre néerlandais de la Défense. Nous voyons qu’il y a encore des frappes aériennes dans toute l’Ukraine, cette évaluation doit être faite avec soin. Nous sommes ouverts à en discuter, nous ne disons pas non d’emblée, mais cela doit être une décision réfléchie. »
Le sujet porte, en fait, sur la réaction européenne au cas où des instructeurs européens seraient tués par des missiles russes au cours des formations en Ukraine. Question épineuse… On comprend que Pal Jonson, le ministre suédois de la Défense, ait rappelé l’importance du « consensus au sein de l’UE » sur cette question.
Le blocage hongrois des paiements de la facilité européenne pour la paix (FEP) reste un obstacle majeur. Hanno Pevkur a appelé la Hongrie à « lever ce blocage et aider l’Ukraine », soulignant que ces fonds sont « l’argent des contribuables européens destiné aux pays européens ». Laurynas Kasciunas, ministre lituanien de la Défense, a proposé une alternative innovante : investir dans l’industrie de défense ukrainienne.
Il a suggéré que les pays ne pouvant ou ne voulant pas fournir directement des armes – Hongrie, Slovaquie, Irlande, Autriche – pourraient « financer la production de tels armements » en Ukraine. « Le temps des demi-mesures est révolu. L’Ukraine a besoin d’un soutien décisif et sans équivoque », lance Dmytro Kuleba à l’ensemble des dirigeants européens.
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